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© MC/CNP cliché J. Collina-Girard
Culture |

Cosquer, une grotte sous pression !

Mis à jour le 04 mai 2022

Seul joyau du paléolithique semi-immergé du monde connu, la Grotte Cosquer est vouée à une disparition certaine sous les eaux de la Méditerranée. Pour en savoir plus, nous avons interrogé un spécialiste, Bruno Arfib. Sa spécialité, l’hydrogéologie et les roches karstiques, sa particularité, effectuer des recherches dans la grotte Cosquer depuis 2014.

Bruno Arfib est géologue de formation, maître de conférences à l’Université Aix-Marseille, chercheur au laboratoire CEREGE. Sa passion et son expertise sur la ressource en eau et la configuration très particulière des roches calcaires l’ont naturellement désigné pour faire partie de l’aventure Cosquer.

En quoi consiste l’hydrogéologie ? et en quoi consiste vos études sur la grotte Cosquer ?

Bruno Arfib : L’hydrogéologie consiste à étudier les écoulements d’eau souterraine au sein des minéraux. Les roches calcaires ont la particularité de contenir des grands vides (par exemple les grottes), que les scientifiques nomment « le karst », les écoulements d’eau et d’air deviennent alors difficile à prévoir. En 2014, au cours d’un échange avec la DRAC, nous avons souhaité approfondir l’étude de la grotte par le prisme de l’hydrogéologie karstique* , notamment sur le suivi des niveaux d’eau dans la grotte et des paramètres physiques associés.

La première étape consistait à mettre en place un ensemble d’instruments de mesure in situ, pour enregistrer en permanence la pression qui règne dans la grotte, la température, la salinité de l’eau. Cette acquisition de données (ou observations) est au cœur de notre travail de scientifique qui consiste à les vérifier, à en valider la justesse puis à les interpréter. Ce suivi se poursuit car il s’agit d’une mission sur le long terme. L’interprétation des données vise à comprendre les processus qui font varier les paramètres mesurés, pour à terme les modéliser. Nous cherchons à comprendre pourquoi le niveau d’eau varie dans la grotte au cours du temps, c’est une information importante pour les archéologues et pour la conservation de cette grotte ornée.

 

Qu’en est-il du niveau d’eau dans la grotte ?

Bruno Arfib : Au temps de la fréquentation de la grotte Cosquer (entre 33 000 et 18 000 ans avant le présent), le niveau de la mer était plus bas de 130 mètres. Aujourd’hui, la grotte est reliée à la mer par sa partie noyée, par le passage qu’empruntaient les hommes du paléolithique et par des fissures dans la roche calcaire. Les plans d’eau visibles dans la grotte sont pour leurs parts, en communication avec la mer. Les variations du niveau de la mer se répercutent à l’intérieur du massif calcaire et donc dans la grotte.

La montée du niveau de la mer est inexorable depuis la dernière glaciation. Il en est de même pour le niveau d’eau dans la grotte. Ce phénomène s’accentue avec les effets du changement climatique. À l’échelle des heures ou des jours ou des saisons, le niveau d’eau dans la grotte varie de façon permanente, chaque minute, en raison de : la marée, faible en Méditerranée, mais de l’ordre d’une dizaine de centimètres chaque jour et deux fois par jour.

Toutefois, la hauteur de variation du niveau d’eau est amortie par un phénomène exceptionnel et unique à la grotte Cosquer : l’air de la grotte est piégé entre le plan d’eau et la roche et il diminue temporairement la montée du niveau d’eau. Cela confirme les observations effectuées précédemment par les plongeurs et les premiers scientifiques ayant travaillés sur la grotte dans les années 1990. Ce phénomène peut même être amplifié sur certaines périodes de l’année, lorsque de l’air entre dans la grotte et pousse les plans d’eau à un niveau plus bas que le niveau de la mer (jusqu’à 1 mètre) ; on parle de surpression de l’air dans la grotte.

« Les bulles d’air parviennent à pénétrer jusque dans la grotte par les petites fissures de la roche. Dans une grotte ornée, c’est unique au monde. »Bruno Arfib

Comment l’air pénètre dans la grotte ?

Bruno Arfib : C’est une spécificité de la Grotte Cosquer, nous avons recherché comment l’air parvenait à entrer dans la cavité et combien de temps il y demeurait.

La roche au-dessus de la grotte est très peu perméable, c’est une condition indispensable pour que l’air qui entre dans la grotte soit piégé et que la pression augmente. C’est possible grâce à l’histoire géologique du massif calcaire au cours de laquelle les fissures initialement agrandies (on parle de fissures karstifiées) ont ensuite été colmatées. Actuellement, seules les fissures et conduits sous l’eau sont ouverts et permettent la communication entre l’extérieur et l’intérieur.

Nos mesures continues sur plusieurs années montrent que chaque année le niveau d’eau baisse dans la grotte en hiver puis remonte en été. La chute du niveau d’eau coïncide avec les périodes de tempêtes en mer. Nous supposons que des bulles d’air entrent lorsque des vagues déferlent sur les falaises du Cap Morgiou. Ces bulles d’air parviennent à pénétrer jusqu’à la grotte par les petites fissures de la roche. Ce mécanisme-là dans une grotte ornée est unique au monde. Dans un environnement calcaire il représente un phénomène extrêmement peu observé, très peu documenté, très peu courant et de fait passionnant.

Quelles sont les conditions physiques requises à la conservation des grottes ornées ?

Bruno Arfib : L’équilibre dans ces grottes est très fragile. Les parois et les sols sont soumis à des phénomènes d’altération chimique (par exemple la dissolution de la roche, ou le dépôt de calcite), physique (ruissellement, effondrement), ou biologique (développement de micro-organismes). Scientifiquement, nous ne disposons pas d’assez de recul pour pouvoir répondre à toutes les questions posées sur la conservation de la grotte. Il nous faut acquérir plus de données interdisciplinaires sur une plus longue période.

La particularité de la grotte Cosquer repose sur des plans d’eau qui ennoient les parois portant des œuvres graphiques du paléolithique supérieur. Dans un tel cas de figure, les parois deviennent vulnérables, se fragilisent par l’eau qui ruisselle et par l’alternance de phases immergées puis aériennes. Le suivi photographique a montré la dégradation en cours dans cette zone d’ennoiement temporaire. Les données acquises nous ont permis de quantifier sur combien de temps et sur quelles hauteurs la grotte s’altère et pourquoi. L’étape suivante réside dans l’explication de la montée du niveau de l’eau. L’étape ultime consistera à utiliser des modèles de prédiction de ce que sera le niveau dans quelques années ou dans quelques dizaines d’années, mais nous n’en sommes pas encore à ce stade.

Quelles sont les parois les plus vulnérables à étudier prioritairement ?

Bruno Arfib : Nous sommes en mesure de les recenser, sans oublier les sols qui représentent une fantastique source de renseignement pour l’archéologie.

Afin de suivre physiquement parlant les dégradations au cœur de la grotte, nous avons répertorié des panneaux de référence. Un des panneaux suivis se révèle être un panneau emblématique, celui des chevaux. D’une part parce qu’il s’agit d’une œuvre exceptionnelle et d’autre part parce que cela nous permet de suivre avec beaucoup de détails la détérioration de la grotte dans la zone d’ennoiement temporaire. Personnellement, je ne dissocie pas le panneau des chevaux des autres, tout est important. L’acquisition du clone numérique 3D de la grotte commandé par le ministère de la Culture est également un outil qui permettra d’étudier les parois, à la fois sur les reliefs des gravures, sur la géométrie et la répartition des œuvres dans l’espace, et sur l’évolution de leur conservation dans les années à venir. Les archéologues pourront faire des choix à la lumière des données disponibles.

Quel est votre sentiment sur la réplique de la grotte qui va s’ouvrir prochainement ?

Bruno Arfib : Actuellement nous avons une vraie grotte immergée et une réplique, ce qui représente une richesse. Mon rôle consiste à observer la grotte originale pour apporter une contribution à l’étude multidisciplinaire et à la préservation de ce joyau archéologique.

La réplique est un extraordinaire moyen de communication vers le grand public, afin de faire partager la beauté de ce site unique et de montrer la montée actuelle du niveau de la mer en lien avec le changement climatique. Les relevés numériques en trois dimensions des panneaux ornées, avec un degré de finesse exceptionnelle, seront utilisés par les archéologues et ont permis de créer une reproduction des panneaux ornés pour la réplique au plus proche de la réalité.

 Je tiens vraiment à souligner que les données ne doivent pas être cloisonnées, je suis géologue et je travaille avec le modeleur 3D, mais également avec les archéologues et les conservateurs.

Nous œuvrons tous au service du public et de l’humanité.

Mis à jour le 20 novembre 2024