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En Région Sud, la soumission chimique sous surveillance

Mis à jour le 13 novembre 2024

Phénomène de plus en plus médiatisé, la soumission chimique soulève des questions sur ses usages, ses effets et la difficulté d’en prouver l’occurrence. Joëlle Micallef, directrice du centre d'addictovigilance Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse, nous explique les mesures mises en place pour surveiller et prévenir l'utilisation criminelle des substances psychoactives. 

La soumission chimique est au cœur de l’actualité de ces derniers mois. L’affaire des viols de Mazan notamment, met en cause Dominique Pelicot, accusé d'avoir drogué sa compagne, Gisèle, pour l’agresser sexuellement et permettre à d'autres hommes d'en faire de même, impliquant un total de 51 suspects identifiés. La députée Sandrine Josso est, elle aussi, une victime présumée de soumission chimique par le sénateur Joël Guerriau qui nie les faits. Ces affaires illustrent la violence de cette méthode et soulève des débats sur la gravité du phénomène.  

Les substances administrées en cas de soumission chimique agissent généralement rapidement, pouvant désorienter la victime en quelques minutes. Il lui est difficile de prouver qu'elle a été droguée à son insu, car ces substances disparaissent vite de l'organisme, rendant les tests et les preuves médicales difficiles à obtenir. Malgré ces obstacles, les autorités et les institutions de santé publique ne relâchent pas leurs efforts pour mieux comprendre et enrayer ce phénomène. 

Plusieurs dispositifs de surveillance pharmacoépidémiologiques sont mis en place, comme celui de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Joëlle Micallef, médecin et professeure de médecine, dirige le centre d'addictovigilance pour les régions PACA et Corse en charge du projet. En 2022, ce centre expert a reçu un total de 2 197 déclarations. Après évaluation, 1 229 cas d’agressions facilitées par substances (AFS) ont été retenus pour l'enquête nationale, représentant une augmentation de 69,1 %. Actif depuis plus de 30 ans, ce centre surveille et analyse ainsi l’usage des substances psychoactives et leurs effets sur la santé, qu’il s’agisse de conduites addictives liées à des médicaments ou d'autres substances, ainsi que de leur détournement pour divers usages, notamment dans le cas de soumissions chimiques.  

Depuis quand ce phénomène de soumission chimique est-il suivi ? 

Joëlle Micallef :  La soumission chimique a été mise en lumière dans les années 80 par le professeur Jacqueline Jouglard, qui a remarqué les premiers cas d'enfants soumis à des substances sans leur consentement. Ce phénomène existe donc depuis longtemps, mais ce n’est qu'en 2003 que l'Agence du médicament a structuré son suivi et posé le terme de «  soumission chimique  ». Souvent, pour qu'on sache quand les choses commencent, il faut leur donner un nom. C’est presque du marketing mais comme ça tout le monde parle le même langage, même si le phénomène existe depuis longtemps.  

La soumission chimique, définie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), consiste en « l’administration à des fins criminelles ou délictuelles de substances psychoactives à l’insu de la victime ou sous la menace ».  
La loi française criminalise cet acte qui est pourtant en forte hausse ces 20 dernières années : « l’administration à une personne, à son insu, de substances altérant son discernement dans le but de commettre un viol ou une agression sexuelle est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. »  

Pourquoi avoir mis en place ce dispositif d’observation ? 

JM :  Notre réseau de 13 centres en France, unique en Europe, a été créé pour observer les effets des substances psychoactives sur la santé de manière assez générale. Nous souhaitons donc observer les détournements de produits et identifier les évolutions des substances et scénarios d'usage, pour des phénomènes comme la soumission chimique. Ces observations se font en collaboration avec des services d’urgences médicales ou d’urgences médicojudiciaires, des services de médecine légale, des laboratoires d’analyses toxicologiques et tous les professionnels de santé ayant eu connaissance d’un cas de soumission (médecins, pharmaciens, Centre Anti-Poison, Centre Régional de Pharmacodépendance Vigilance …).  

“En analysant les ordonnances falsifiées, nous repérons les médicaments les plus détournés.” 

Pour cela, des dispositifs de collecte de données sont déployés proactivement afin de mieux comprendre les personnes concernées, les substances utilisées, et les nouveaux risques. Par exemple, en analysant les ordonnances falsifiées, nous repérons les médicaments les plus détournés. Ce suivi constant permet aux professionnels de santé d’anticiper et de mieux prendre en charge les victimes dès leur arrivée aux urgences. 

Ces dispositifs servent donc de « baromètres » pour comprendre l’évolution des usages et des détournements de substances, au profit d’analyses de santé publique continues. Un exemple récent est celui des suspicions de piqûres dans des festivals et soirées, qui ont mobilisé le dispositif de soumission chimique, même si finalement aucune substance n’a été retrouvée. Cet événement montre l’importance de consulter rapidement pour être écouté et pris en charge. 

Ce phénomène de soumission s'est-il aggravé, ou est-ce simplement qu'on en parle davantage ? 

JM : La soumission chimique a toujours existé mais elle est mieux reconnue aujourd’hui. Cette problématique s'est amplifiée, tant par la diversité des situations que par les types de substances utilisées. La médiatisation joue aussi un rôle en exposant davantage le problème.  

Ce qui a été préjudiciable à la soumission chimique pendant longtemps, c’est qu'on était un peu dans la caricature. On présentait des scénarios uniquement dans les milieux festifs par exemple en boîte de nuit à l’aide de GHB. Il existe une grande variété de scénarios et depuis longtemps. Par exemple, un cas en 2003 impliquait un joueur de tennis empoisonné par des benzodiazépines pour perdre ses matchs, une pratique orchestrée par le père de son adversaire. Les contextes sont variés : la soumission chimique touche tous les âges, hommes et femmes, et est utilisée pour des agressions sexuelles, des actes de torture, des manipulations pour des intérêts financiers, etc. 

Quel conseil donneriez-vous à une personne victime de soumission chimique ? 

JM : En cas de suspicion de soumission chimique ou d'agression, il est crucial de porter plainte et de consulter rapidement pour une prise en charge médicale, surtout si une agression sexuelle est en cause. Cela permet de réaliser des prélèvements toxiques et de recevoir des traitements préventifs contre d'éventuelles infections. La consultation assure un soutien médical et psychologique essentiel, et, avec les progrès dans les hôpitaux, ce type de prise en charge est maintenant bien connu et accessible, les professionnels sont formés et aguerris.  

L’exemple des incidents de piqûres en soirée, bien que sans traces de substances, montre l’efficacité du dispositif de soumission chimique : les consultations des potentielles victimes ont permis de traiter le problème sérieusement. Il est donc recommandé de consulter le plus vite possible en cas de doute pour bénéficier de soins et de preuves médicales, permettant d'être reconnu comme victime. 

Pour en savoir plus 

Bien que la soumission chimique soit difficile à anticiper, quelques mesures de prévention permettent de réduire les risques notamment en milieu festif :  

- Surveillez toujours votre verre et ne le laissez jamais sans surveillance.  
- Refusez les boissons offertes par des inconnus, même en cas de geste amical.  
- Restez en groupe lors de vos sorties, et veillez à ce que chacun rentre chez soi en sécurité.  
- Restez attentif aux signes de confusion ou d’ivresse soudaine, qui peuvent être des indices de la présence de substances. 

  La Région Sud a souhaité elle aussi contribuer à la lutte contre la soumission chimique avec l’opération « Touche pas à mon verre »  pour protéger les publics et accompagner les professionnels de la restauration, de la nuit mais aussi les festivals et associations de jeunesse, étudiantes et de santé, engagées dans la prévention en soirées.  
De nombreuses associations du monde de la nuit comme Safer agissent également pour protéger les publics, n’hésitez pas à vous tourner vers ces professionnels.   

Mis à jour le 14 novembre 2024