Comment expliquer que les femmes aient encore aujourd’hui un salaire inférieur à celui des hommes et occupent souvent des postes à moindre responsabilité ?
Cela s'explique en grande partie par le poids de l’Histoire. Longtemps, les femmes ont travaillé gratuitement dans les fermes ou les commerces familiaux, ou n’ont pas travaillé du tout, notamment celles issues des classes aisées. Elles ont eu un accès tardif au travail salarié, et cette histoire est profondément ancrée dans les mentalités. Cela se reflète, par exemple, dans le rapport différent qu’ont les femmes avec l’argent et la négociation salariale. De plus, il y a peu de modèles féminins en matière d'entrepreneuriat, ce qui limite les références pour celles qui veulent s’y lancer.
La maternité est également un frein majeur à la carrière des femmes. Les inégalités de revenus et de postes s’expliquent en grande partie par le fait que les femmes assument 80 % des tâches domestiques et des soins aux enfants. Cette charge non rémunérée freine leur progression professionnelle, tandis qu’elle libère du temps pour leurs conjoints, leur permettant de se consacrer davantage à leur carrière.
Enfin, le poids des stéréotypes ne doit pas être négligé. Ils sont souvent intériorisés et transmis, parfois inconsciemment. Les petites filles s'orientent davantage vers des carrières littéraires, moins bien rémunérées, tandis que les garçons choisissent plus fréquemment des carrières scientifiques. Cela explique pourquoi les femmes sont sous-représentées dans des secteurs comme les nouvelles technologies.
Quel rôle jouent les préjugés dans la différence de traitement entre les femmes et les hommes au travail ?
Les femmes sont souvent perçues comme dociles, serviables, douces et empathiques, des qualités associées à la féminité mais jugées incompatibles avec l’image du leader. Elles sont vues comme des êtres émotionnels, alors que les hommes sont considérés comme rationnels. Dans le monde du travail, les émotions sont souvent mal perçues, surtout chez les hommes. La seule émotion qu’un homme est "autorisé" à exprimer est la colère. Pourtant, intégrer les émotions dans l’entreprise pourrait favoriser des relations plus équilibrées et productives. En conséquence, ces stéréotypes intériorisés vont faire qu’on ne proposera pas certains postes à des femmes et que les femmes elles-mêmes s’empêcheront d’y postuler. Ces stéréotypes ont des impacts très concrets et encore très puissants.
Sur quels aspects de leur vie professionnelle les femmes peuvent-elles travailler pour améliorer leur situation ?
Même si l’on dit que les femmes doivent travailler sur certains aspects, cela ne signifie pas qu’elles ont un problème en soi, mais que le monde professionnel a été façonné par et pour les hommes, avec des valeurs spécifiques. Comprendre les mécanismes des inégalités permet de revoir ses croyances, ses ambitions, son rapport à l’argent et ses choix. Les femmes doivent apprendre à se valoriser, à ne plus s’excuser d’être là, ni minimiser leurs accomplissements. Suivre des programmes de développement de carrière des femmes, créer ou rejoindre des réseaux de femmes est très important. On sait que leur parole est moins entendue, ce qui renforce un sentiment d’illégitimité. Elles ont aussi tendance à utiliser le "on" plutôt que le "je", diluant ainsi leur responsabilité et leurs réussites. Ce comportement est lié au syndrome de la bonne élève, où l’on croit qu’il suffit de bien travailler pour être reconnue. C’est faux. La visibilité, le réseau et la communication sur ses réalisations comptent pour 60 % dans les promotions. Les réseaux sociaux professionnels peuvent être un outil utile à cet égard.
Une prise de conscience doit-elle s’opérer du côté des collaborateurs masculins ?
Absolument. Ce serait bénéfique pour tout le monde. Lorsque nous organisons des tables rondes sur l’égalité, les hommes y assistent rarement, car ils ne se sentent pas concernés. Pourtant, le changement est mieux accepté et les efforts sont plus facilement fournis quand tout le monde a à y gagner. Les stéréotypes affectent aussi les hommes. Il est nécessaire de prendre conscience de ces stéréotypes pour créer des espaces de liberté, autant pour les femmes que pour les hommes, notamment ceux qui souhaitent s’investir davantage dans leur paternité sans subir des horaires de travail interminables.
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