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©Claude Almodovar
Agriculture, Économie-Entreprise, Eco-développement

Denis VERNET, lavandiculteur : " Il faut arrêter de faire des amalgames "

Mis à jour le 03 mars 2022

C’est sur le plateau de Valensole que nous avons rencontré Denis Vernet, lavandiculteur avec ses deux associés, André et Serge, son père et son oncle. L’occasion de découvrir leur quotidien au service d’une culture régionale emblématique.

 

Comment votre exploitation s’organise ?

Denis Vernet : Nous sommes une exploitation familiale de trois associés, bientôt quatre avec mon cousin qui va rejoindre l’aventure cette année. Avec lui, je fais partie de la 5e génération de lavandiculteurs de la famille. Nous constituons le GAEC des Fabres (groupement agricole d’exploitation en commun). Quant aux Fabres, c’est le lieu-dit de l’exploitation. Pendant que je vous parle ou que j’assiste à des réunions, eux travaillent (rires). Nous cultivons des lentilles, des pois-chiche, des pommes et du lavandin. Cette polyculture nous permet de vivre, le lavandin n’y suffirait pas.

En quoi consiste votre travail de lavandiculteur ?

Nous travaillons le lavandin sur le plateau de Valensole. En hiver, nous renouvelons en moyenne 10% des plantations de l’exploitation. Nous procédons mécaniquement. La machine creuse le sillon et recouvre les plants. Dans le même temps, nous en profitons pour épandre un compost de paille de lavandin que nous incorporons au sol par binage mécanique. C’est tout de même mieux qu’avec la pioche ! Ce compost constitué de matière organique, servira à nourrir la vie biologique et la culture en place. C’est assez chronophage car nous évoluons à une vitesse de 800 mètres par heure. Au printemps nous désherbons et nous rajoutons une fertilisation organique séché avec nos composts. Nous ne sommes pas en bio mais nous utilisons quand même l’organique. Le désherbage et la fertilisation s’opèrent autant en chimique qu’en organique. Nous utilisons du désherbant homologué et nous binons. La récolte en elle-même s’étale sur tout le mois de juillet.

Quelle est la différence entre le lavandin et la lavande ?

Ce sont des plantes cousines qui n’ont pas la même finalité d’utilisation. Le lavandin pousse entre 500 et 600 mètres d’altitude, la lavande pousse plutôt entre 800 et 1 000 mètres d’altitude, vers le Mont-Ventoux et le plateau d’Albion, Banon et Sault. Pour notre part, nous commercialisons notre production uniquement via notre coopérative, qui exporte majoritairement vers les Etats-Unis et la Chine, car le lavandin sert principalement dans l’industrie : la lessive, le savon, désodorisant intérieur alors que la lavande est essentiellement utilisée en parfumerie car c’est un produit un peu plus « noble ».

Que pensez-vous du projet européen de classifier les huiles essentielles de lavande et lavandin parmi les produits toxiques ?

Personnellement, je m’y attendais car je suis administrateur dans ma coopérative et auprès de certains groupements de producteurs. Il y a 10 ans, une réglementation nous a déjà touché de plein fouet, nous nous doutions que ça allait être remis sur le tapis. La différence par rapport à il y a 10 ans, c’est que cette fois nous avons le soutien du Président de la République, du ministre de l’agriculture et du Président de Région. Un comité interministériel a vu le jour, car le problème concerne plusieurs ministères, celui de la santé, de l’industrie et bien sûr de l’agriculture. Avec ses soutiens, nous espérons décrocher dans un premier temps une dérogation pour nos produits naturels. C’est simplement usant car il s’agit du résultat d’une mécanique bête et méchante de classification.

En quoi consiste cette classification ?

Ça date d’après-guerre, lorsque l’Etat français a opéré une classification de ses productions agricoles. Notre filière « plantes à parfum » n’était ni assez structurée, ni assez organisée, à l’époque, pour faire entendre notre voix.  Nous avons été classés arbitrairement dans les produits industriels alors que nous sommes des produits agricoles.

Mis à part cette épée de Damoclès au-dessus de vos têtes, quelle est la difficulté à laquelle vous vous heurtez au quotidien ?

La difficulté à laquelle nous sommes confrontés actuellement, c’est l’adaptation au changement climatique, surtout dans le sud de la France où nous sommes frappés de plein fouet par des épisodes météorologiques assez particuliers. Certains nous sont favorables d’autres pas du tout, mais l’instabilité climatique existe bel et bien. Mais ce n’est pas la première.

Alors quelle est la première difficulté de votre métier ?

La pire difficulté à laquelle nous devons faire face réside dans « l’agri-bashing ». Une véritable fronde sociétale !  C’est dramatique ! Les gens estiment que parce qu’ils mangent trois fois par jour, même s’ils n’y connaissent rien, ils doivent nous apprendre notre métier. Il est légitime qu’ils s’intéressent à leur nourriture, mais il faudrait qu’ils se renseignent davantage et qu’ils arrêtent de diffuser de fausses informations. Le nombre de bêtises à notre sujet que nous pouvons entendre ou lire dans les médias et les réseaux sociaux, ça nous épuisent. Car l’agriculture française est une des plus propres d’Europe et du monde.

Il faut des débats constructifs et sortir du passionnel car nous faisons les choses bien.

Que peut faire la profession pour mettre un terme à cet agri-bashing ?

Certes notre secteur a fait des erreurs, mais nous n’avons pas attendu les polémiques pour agir. Nous aussi, nous mangeons et nous respirons ce que nous mettons dans la terre. Nous avons tout intérêt et en premier lieu à produire de façon saine. Il y a des années, nous avons monté un groupement d’agriculteurs innovants, Essen'sol, pour avancer sur les pratiques agroécologiques. Nos coopératives et nos instances techniques travaillent dessus depuis longtemps. Deux pratiques agroécologiques sont actuellement testées sur nos sols. Les résultats chiffrés seront disponibles dans deux ans, mais les effets bénéfiques sur les cultures et la qualité et la fertilité du sol sont déjà visibles.

Renaud Muselier, Président de la Région Sud a relayé la pétition de l’interprofession et des producteurs de la filière des plantes à parfum. Il nous appuie auprès de l’Union Européenne afin d’obtenir dans un premier temps des dérogations. Par la suite, il faudrait déclassifier la culture des plantes à parfum dans la catégorie industrielle, qui nous soumet à une règlementation aveugle, afin qu’elle s’inscrive dans la catégorie agricole.

Que faire d’après vous pour remédier à ça ?

Il faut des débats constructifs et sortir du passionnel car nous faisons les choses bien. Les gens aiment les agriculteurs mais pas l’agriculture. Les agriculteurs sont assimilés à la campagne, aux bons produits. En revanche, de l’agriculture, ils ne retiennent que le mauvais côté des choses comme le glyphosate et l’élevage intensif. Il faut arrêter de faire des amalgames et il faut que ça change parce que c’est insupportable ! Nous n’avons pas réagi assez tôt, ni su comment le faire. Car nous ne sommes pas des professionnels de la communication et il faut communiquer auprès des consommateurs afin qu’ils accèdent à la bonne information et nous refassent confiance !

Propos recueillis par Béatrice MICHEL

Par sa compétence en termes de gestion de l’eau, la Région Sud participe à l’extension des infrastructures des réseaux d’irrigation nécessaires aux lavandiculteurs, et à la filière des cultivateurs de plantes à parfum. Dans le cadre du Plan Climat régional, « gardons une COP d’avance », l’agriculture régionale s’achemine peu à peu vers une irrigation de résilience afin de faire face au changement climatique.

Mis à jour le 15 novembre 2024